Henry Peach Robinson, She Never Told Her Love, 1857

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She never told her love, but let concealment, like a worm ‘i th’ bud, feed on her damask cheek. She pinned in thought; and, with a green and yellow melancholy, she sat like Patience on a monument, smiling at grief. Was not this love indeed? We men may say more, swear more; but indeed our shows are more than will; for we still prove much in our vows but little in our love.

William Shakeaspeare, Twelfth Night.

Peintre, photographe, auteur de plusieurs ouvrages théoriques consacrés à la photographie, Henry Peach Robinson est également le  créateur du groupe « Linked Ring »*, considéré comme l’un des précurseurs du mouvement pictorialiste. Il prône notamment une rupture avec le caractère scientifique du médium pour le mettre au service de l’expression picturale. S‘affranchissant de l’automatisme de la photographie, il est un adepte des interventions dans le processus de création, utilisant, entre autres, des techniques d’assemblage. Ainsi, l’une de ses œuvres les plus célèbres, Fading Away (1858), est réalisée à partir de cinq négatifs différents. La photographie montre l’agonie d’une jeune fille au milieu des membres de sa famille. Parfaitement agencée, elle fait preuve à la fois d’un souci d’unité, de composition et de lumière, mais aussi d’une dimension réaliste et narrative de l’image.

fading away
Fading Away

She Never Told Her Love est une étude préliminaire à la figure centrale de cette composition. On y retrouve le même modèle, posant en jeune femme mourante, dans un fauteuil, soutenue par des oreillers. Le titre de l’image fait référence à une réplique de Viola dans La douzième nuit, de William Shakespeare (les photographes de l’époque victorienne aimaient à s’inspirer d’œuvres de poésie, de littérature ou de théâtre comme des textes bibliques).

postmortem
Post mortem, Southworth & Hawes, ca.1846

L’image, bien qu’extrêmement réaliste d’un point de vue plastique, est, par cette citation même, revendiquée par l’auteur comme une œuvre de fiction. (Il n’est pas inutile de rappeler ici que la photographie post mortem est une tradition au 19e siècle. Le dernier portrait du défunt, conservé dans l’album de famille, était souvent le seul). Contrairement à l’image composite à laquelle elle est destinée, She Never Told Her Love est étonnamment contemporaine par le dépouillement (pour ne pas dire l’absence) du décor, le violent contraste entre le fond et la figure au premier plan, la lumière qui vient concentrer toute l’attention sur le visage de la jeune femme se mourant d’amour. 

Henry Peach Robinson semble saisir ici l' »instant le plus fécond, celui qui fera le mieux comprendre l’instant qui précède et celui qui suit. »** Elle est sur le point de s’éteindre : l’instant fatidique, celui de la tension extrême, amoureuse et funèbre, avant l’achèvement décisif de la scène, celui, précis, du passage entre la vie et la mort. Devant l’image, qui s’ouvre comme un seuil perpétuel pour le regard, où cette femme ne cesse de se consumer, on sait qu’il ne va (qu’il ne peut) rien se passer, et pourtant, on ne peut s’empêcher d’attendre.

* Association de photographes, fondée en 1892, faisant la promotion du pictorialisme et de la photographie comme un des Beaux Arts.

** Gotthold Ephraim Lessing, Laocoon (1766), éditions Herman, Paris, 1990, p. 120.

Publié par

Caroline Benichou

Si tant est que je sache faire quelque chose, je crois que je sais regarder et je sais aussi que tout regard est entaché d'erreur, car c'est la démarche qui nous projette le plus hors de nous-mêmes, et sans la moindre garantie... Julio Cortazar, Las Babas del Diablo

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