Extase et photographie

 

Dali
Le phénomène de l’extase © Salvador Dali

Ce photomontage de Salvador Dali, paru en 1933 dans la revue surréaliste Minotaure, s’intitule Le phénomène de l’extase. Composé en volute avec pour point de départ (et pour aboutissement) la photographie de Brassaï du même titre, il déploie une multitude de visages de femmes et de gros plan d’oreilles (empruntées aux photographies judiciaires d’Alphonse Bertillon ?). Dali  traduit le phénomène de l’extase en suggérant que la vue et l’ouïe abdiquent et se dérobent. Un visage de statue, au regard fixe et vide, vient également rappeler cet état liminal, entre présence et absence, oscillant entre la vie et la mort.

 

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Brassaï, Phénomène de l’extase, 1932
Le Bernin, L’extase de Sainte Thérèse, 1647-1652

Il se produit, dans la photographie même, un phénomène de l’ordre de l’extase.
L’acte photographique génère, dans un premier temps, une stase, un « arrêt ou ralentissement de la circulation d’un liquide organique* » : il extirpe des fragments de réel du fil du temps pour en faire des instantanés. La photographie retient alors ce qui ne se produit qu’une fois, opérant un passage du fluctuel au ponctuel. Le réel, après cette extraction, est contenu, figé dans l’image : médusé. A l’instar des victimes de la Gorgone, le réel est pétrifié dans l’immuable immobilité des statues, et l’instant voué à demeurer perpétuel, dans un état liminal, entre présence et absence.
Et ce petit fragment d’espace, de temps, de réel, va entrer dans le temps photographique. Ainsi, la stase en vient à frôler l’extase : le réel se trouve comme « transporté hors du monde sensible** » pour entrer dans le monde achronique de la photographie.

* Définition du Petit Larousse Illustré.
** Extase : n. f. (gr. extasis, égarement de l’esprit). 1. Etat d’une personne qui se trouve transportée hors du monde sensible par l’intensité d’un sentiment mystique.

Publié par

Caroline Benichou

Si tant est que je sache faire quelque chose, je crois que je sais regarder et je sais aussi que tout regard est entaché d'erreur, car c'est la démarche qui nous projette le plus hors de nous-mêmes, et sans la moindre garantie... Julio Cortazar, Las Babas del Diablo