Saul Leiter, In his room

Ce diaporama nécessite JavaScript.

Elles sont là. Je veux dire : elles sont vraiment là. Elles ne sont pas des corps interchangeables, pliables aux désirs ou aux injonctions du regard, objets de fantasmes (souvent formatés et normatifs,  aseptisés à force de se vouloir transgressifs, attirail des ligotages, des cambrures, anatomies calibrées, chairs mornes). Elles ne sont pas non plus ces corps fragmentés, expérimentations photographiques d’abstraction, d’études formelles, de points vues, de paysages (pour cela, on renverra l’amateur aux Earthly Bodies de Penn, aux nus de Bill Brandt et d’Edward Weston ou encore au travail de John Coplans et Henri Macceroni) .

Ces femmes-là sont à n’en pas douter des femmes aimées. Ce photographe-là, à n’en pas douter, aime les femmes. Pas en collectionneur épinglant avec l’obsession d’un entomologiste le tableau de ses maîtresses (d’ailleurs le sont-elles toutes ?).

J’ai lu, un peu amusée, sur le cartel de l’exposition présentée au Museum für Fotografie à Berlin que Saul Leiter avait une approche timide des femmes. Je crois bien au contraire qu’il faut beaucoup de confiance pour savoir les regarder comme sujets plutôt que comme objets, avec ce degré d’intimité, de bienveillance et de connivence aussi bien physique qu’émotionnelle. On pense à Denis Roche, Harry Callahan ou encore Emmet Gowin, dans leurs protocoles photographiques et amoureux avec leurs compagnes.

Comme dans ses images de rue, Saul Leiter joue des points de vue, on aperçoit un corps dans un miroir, dans l’encadrement d’une porte, parfois comme entrevu à travers des paupières mi-closes. Leiter saisit une sensualité quotidienne, des instants d’abandon, de rêverie, les femmes s’habillent, se déshabillent, parfois semblent le provoquer ou se moquer un peu de lui. D’une photographie à l’autre, on se prend à les chercher, les reconnaître, les retrouver. Et alors elles deviennent familières, Inez, Fay, Jay, Barbara… il les a vues au-delà de leur simple présence charnelle, plutôt que des corps désincarnés, les femmes photographiées par Saul Leiter imprègnent la surface sensible et c’est là toute la charge érotique et captivante de ses images.

Publié par

Caroline Benichou

Si tant est que je sache faire quelque chose, je crois que je sais regarder et je sais aussi que tout regard est entaché d'erreur, car c'est la démarche qui nous projette le plus hors de nous-mêmes, et sans la moindre garantie... Julio Cortazar, Las Babas del Diablo