Yves Trémorin, Les amants magnifiques

Yves Trémorin, avec une précision d’entomologiste dressant une collection d’objets d’étude, développe depuis les années 1980 une œuvre rigoureuse dans ses procédures et ses procédés, isolant ses sujets sur un mode fragmentaire. Extraits de tout indice contextuel, spatial ou temporel, affranchis de toute anecdote, ils deviennent, dans ses images d’un extrême dépouillement, autant d’emblèmes, de figures mythologiques ou d’objets symboliques.

La série Les amants magnifiques fait figure d’exception dans le travail de l’artiste. S’il a souvent pris ses proches pour sujets (avec les séries Poupig, Tribu & Nature Morte, Cette femme là, La mère ou encore Néon Boy), il les a scrutés en évacuant de la sphère de l’intime tout investissement subjectif ou affectif.

Dans cet ensemble de quatorze photographies réalisé en 1989, il en va de l’amour, de l’Eros, et d’une action soudain devenue sentimentale et charnelle. Un couple enlacé — le photographe et sa femme — évolue les yeux mi-clos. Les images ne contiennent que l’espace de leurs corps emmêlés, lourds de chair et pourtant célestes, puisque le regard en plongé les bascule, sens-dessus dessous, bouleversant les lois de l’apesanteur. Elles font écho à l’iconographie des immaculées conceptions et des vierges extatiques. C’est bien d’extase qu’il s’agit : les amants sont en état de grâce, hors du monde, imprégnés d’eux-même, orgastiques et achroniques. L’ensemble donne un sentiment vertigineux de flux et de reflux convulsif où les amants semblent sans cesse se perdre et se rejoindre, naufragés engloutis dans l’image.

 

Publié par

Caroline Benichou

Si tant est que je sache faire quelque chose, je crois que je sais regarder et je sais aussi que tout regard est entaché d'erreur, car c'est la démarche qui nous projette le plus hors de nous-mêmes, et sans la moindre garantie... Julio Cortazar, Las Babas del Diablo