Les cimes des hautes montagnes tremblent et la forêt sombre résonne de la clameur des bêtes fauves. Et la terre frémit, et la mer poissonneuse, tandis que la Déesse au coeur ferme, allant de tous côtés, détruit la race des bêtes féroces.
A Artémis, extrait des Hymnes Homériques, traduction de Leconte de Lisle (1868)
Ce matin, je suis partie en forêt surprendre les ombres et c’est la vie qui m’a trouvée. Incarnée dans le corps d’une biche, dans le corps d’un cerf, incarnée dans le mien, nous étions là, la biche, le cerf et moi, dans la forêt, silencieux.
Magali Lambert fait coexister le vivant et le mort, l’inerte et l’animé, la photographie et le dessin ou la sculpture. Démiurge d’hybridations improbables et poétiques, d’êtres, d’objet comme de pratiques artistiques, elle nous livre avec ses Massacres un étrange récit, entre fiction et autobiographie : la rencontre presque miraculeuse dans une clairière avec une biche et un cerf.
Son travail est souvent peuplé de créatures étranges, formes de cadavres exquis visuels, d’animaux empaillés, de vestiges de chasse. Elle joue des sortilèges, des proies et des prédateurs, de la plaie et du couteau. Il y a dans cet ensemble quelque chose de l’ordre du merveilleux, du conte de fées – qui suscite un envoûtement à la croisée du magique et de l’effroi, donc –. L’artiste qui se mue en conteuse nous plonge dans nos mythes d’enfance. Il était une fois… Le loup et le biche rôdent tout près, mais jamais elle n’évoque de chanson douce.
En gravant ses tirages (ce qui n’est pas sans rappeler les pratiques de certains photographes surréalistes, particulièrement les Transmutations de Brassaï, une série de gravures sur plaques photographiques), elle subvertit l’image par des lignes animales, elle crée et invoque des créatures hybrides qui sont autant de spectres et de monstres mythologiques.
Elle vient inscrire une légende nouvelle en transfigurant le réel, l’objet, l’image, la représentation comme l’improbable tête à tête. La figure d’Artémis ne peut manquer de surgir et d’incarner la photographe dans cette petite mythologie, elle dont la biche était à la fois la compagne et la proie.
Magali Lambert nous entraîne par-delà l’orée du bois, où les clairières sont peuplées de créatures prodigieuses et inquiétantes qui la scrutent en silence, aussi fascinées qu’elle par l’éblouissante rencontre.