Roman Opalka

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© Roman Opalka

Pour appréhender le temps, il faut prendre la mort comme réelle dimension de la vie. L’existence de l’être n’est pas plénitude, mais un état où il manque quelque chose. L’être est défini par la mort qui lui manque.
Roman Opalka

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© Roman Opalka

Depuis 1965, Roman Opalka se consacre à une œuvre unique. Il nomme ses toiles (196x135cm) des détailsElles ne portent pas de date, mais le même titre : Opalka 1965, de 1 à l’infini. Sur un fond noir, il inscrit en blanc une progression numérique de un à l’infini. Chaque toile est la suite de celle qui la précède. A partir de 1972, il incorpore pour chaque nouveau détail 1% de blanc supplémentaire à la peinture noire. Les nombres se confondent alors peu à peu avec le fond. Depuis 2008, il peint en blanc sur fond blanc. Des blancs mérités, dit-il. Il enregistre chaque fois sa voix lisant les chiffres alors qu’il les peint. Chaque séance de travail se termine par un autoportrait photographié devant le détail en cours, chemise blanche, même cadrage, même expression impassible.

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© Roman Opalka

Il n’est ici question que de temps. Opalka égraine le temps, le convertissant à la fois en acte (celui d’inscrire) et en matière (celle de l’inscription). Son processus égraine sa vie même, puisqu’elle est indissociable de son œuvre. Implacable, comme un inépuisable sablier. Il inscrit son temps d’homme, celui de sa vie qui passe. A la fois en tension, sur un fil, et d’une grande fluidité. 

La fin de son œuvre sera la fin de sa vie. Un dialogue perpétuel avec la mort chaque fois plus proche. Une forme de compte à rebours inversé dont on connait, sans surprise, la fin, mais pas le moment. 

Les photographies, selon qu’on les considère entre prises de vues rapprochées ou distantes, laissent voir le passage du temps par le vieillissement de son visage, le blanchissement de ses cheveux, les changements à peine sensibles de son regard. A la fois une gageure et un renoncement. Opalka inscrit sa trace, par bribes, comme autant des desquamations. Une trace chaque fois plus précaire, évanescente. La mémoire, fragile, de son effacement, sa disparition. 

La chronique d’une mort annoncée, en somme.

Publié par

Caroline Benichou

Si tant est que je sache faire quelque chose, je crois que je sais regarder et je sais aussi que tout regard est entaché d'erreur, car c'est la démarche qui nous projette le plus hors de nous-mêmes, et sans la moindre garantie... Julio Cortazar, Las Babas del Diablo