Comme ils respirent, Magali Lambert

[…] Car chaque fois, les feuilles mortes
Te rappellent à mon souvenir
Jour après jour les amours mortes
N’en finissent pas de mourir

Peut-on jamais savoir par où commence
Et quand fini l’indifférence?
Passe l’automne, vienne l’hiver
Et que la chanson de Prévert

Cette chanson, Les Feuilles Mortes
S’efface de mon souvenir
Et ce jour là, mes amours mortes
En auront fini de mourir

Serge Gainsbourg, La chanson de Prévert

La photographe (glaneuse et confidente, gardienne du secret et du souvenir) recueille les récits d’amours passées et les portraits photographiques d’anciens amants de ses proches.

Puis (alchimiste et embaumeuse rituelle), elle réalise, avec Diamantino Quintas, un tirage argentique de la photographie sur un objet en verre (boîte, coffret, globe).

Voilà l’amant et le souvenir captifs du philtre des sels d’argent d’un fragile reliquaire photographique qui conserve jalousement les vestiges du deuil amoureux.
La couche de gélatine argentique enveloppe l’objet comme une seconde peau et l’amant affleure à sa surface. Une histoire à fleur de peau, en somme, métaphore de la photographie (qui fait au réel sa peau, comme l’écrivait Denis Roche) et de l’amour, un peu (on l’avait dans la peau, et c’est à lui qu’on ferait peut-être bien la peau, aujourd’hui).

Magali Lambert (consolatrice et dépositaire) conserve ainsi le souvenir que l’amante lui a remis, sous la forme d’une véronique par procuration photographique : transsubstantiation de l’être par la lumière à la prise de vue, puis de la photographie à l’objet de verre. L’artiste joue du reliquaire et de l’imago christi, de l’amour divin aux amours profanes il n’y a qu’un pas (sur les chemins de l’extase, en somme).

Pour pouvoir contempler le souvenir, il faut éclairer l’objet. Fiat lux. Vient à se produire ce que l’artiste n’avait présagé : à mesure que l’objet est exposé à la lumière, l’image se dégrade, et à petit feu, disparaît. Incarnation de l’amant, il passe à devenir une métaphore de l’oubli.

La coïncidence est belle – mais est-ce vraiment une coïncidence pour elle, qui tant de fois a provoqué des résurrections ?–, pour celle qui dans sa série Eres una maravilla, exhumait puis recueillait des objets délaissés pour leur insuffler une vie nouvelle.

Mais alors, que restera-t-il de nos amours et de la photographie ?

Magali Lambert (chroniqueuse) entreprend de photographier et de préserver les étapes de la lente mais inexorable agonie. Elle les saisit, en quelque sorte jusque dans leur dernier souffle. Lentement, le souvenir s’abime, s’efface, pour sombrer dans le noir. L’amant sombre dans l’oubli, passe de l’être au spectre, puis à l’absence. Le support photographique sombre dans l’amnésie et laisse s’échapper l’image, l’amour, l’amant. La matière argentique desquamée adhère encore un peu à la surface de verre. Plus grand chose ne fait corps.